Clement ECOFFEY Photographie ferroviaire

Wolsztyn de 2010 à 2013

Pt47-65 Grodzisk Wielkopolskie Pt47-65 Szreniawa Pt47-65 Poznan plaque tournante Pt47-65 Drzymalowo Pt47-65 Tloki Wolsztyn dépôt Ol49 Voyageur dans le train à vapeur Poznan - Wolsztyn Pt47-65 Granowo Pt47-65 à Stęszew Touristes dans le dépôt de Wolsztyn Wolsztyn atelier Ol49-7 Pt47-65 réparation Wolsztyn Ol49-69 Wolsztyn plaque tournante Ol49-69 nocturne boite à fumée

Entre 2010 et 2013, j'ai eu trois fois l'occasion de me rendre à Wolsztyn, en Pologne. Connu pour être un des derniers bastions de la traction vapeur en Europe, ce dépôt survit grâce à la simple volonté de préserver un musée vivant. Là-bas, les locomotives à vapeur tractent des trains omnibus réguliers tout au long de l'année. Ces dernières années, bien des choses ont changé et mon ressenti sur ce lieu s'est profondément modifié au cours de ces trois visites.

En Février 2010, avec Grégoire, nous foulions pour la première fois le sol polonais. Nous nous sommes rendus directement à Tłoki en suivant des pistes enneigées. Le ciel était bas, les arbres dénudés et la neige maculée de nombreuses traces. Il faut dire que la dernière chute datait de plusieurs jours. Très vite, la Pt 47-65 arriva et marqua l'arrêt en gare avec son omnibus Poznań - Wolsztyn. La température très en-dessous de zéro garantissait un gros panache blanc au démarrage. Debouts sur le toit de la Twingo, nous photographions la scène. La sensation, dominée par l'excitation, était étrange. Nous étions dans un lieu que nous avions vu et revu en photographie dans les livres et sur Internet. Voici un extrait ce que j'aurais écrit dans le carnet de bord si j'avais pris la peine de le rédiger consciencieusement :
« Au dépôt de Wolsztyn, charbon oblige, la neige est grise. Tout nous semble authentique ! Toutes les heures pendant la nuit, le Dyspozytor, le chef de dépôt, maintient en chauffe la locomotive à vapeur. Les bruits de purges, les grattements d'une pelle dans un tas de charbon ainsi que le léger ronflement de la locomotive, en l'occurence la Pt47-65, donnent une impression d'activité soutenue. Et pourtant, cela fait déjà quelques années qu'une seule locomotive reste en chauffe en permanence. Nous osons à peine imaginer ce que devait être ce lieu dans les années 1990 lorsque les vapeurs assuraient tous les trains de voyageurs en direction de Poznań, Leszno, Nowa Sól, Sulechów, Zbąszynek, ainsi que des marchandises. A 4h00 du matin, l'équipe de conduite est déjà sur place pour préparer la locomotive avec l'aide du Dyspozytor : montée en pression, vérifications, graissages, demi-tour sur la plaque tournante et enfin sortie du dépôt vers 4h45 pour la mise en tête du train. Le soir, les hommes se concentrent sur le remplissage du tender en charbon et en eau avant de rentrer la vapeur sous la rotonde. (...)
En journée, lorsque l'unique machine à vapeur active se dérouille les bielles avec deux aller-retours entre Wolsztyn et Poznan, l'activité du dépôt ne cesse pas pour autant. Une équipe de quatre ou cinq hommes s'occupent de l'entretien des autres locomotives. Semblant sortir d'une époque révolue avec leurs bleus de travail passés par-dessus des chemises à carreaux, ils agissent parfois plus avec expérience qu'avec science à cause de moyens techniques ridiculement petits. Les pièces de rechange sont usinées "maison" dans un atelier accolé à la rotonde. Ces mêmes hommes règlent parfois un problème sur la locomotive active le midi lorsque celle-ci vient faire demi-tour sur la plaque tournante, entre les deux aller-retours. Un coup de marteau par-ci, un coup de clef à molette par-là ...
A ce moment là seul Dave, un photographe belge, partage les lieux avec nous. Chaque soir nous avons le dépôt entièrement pour nous trois ! (...) Ce soir, sur son initiative nous trinquons avec le mécanicien et le chauffeur des trains que nous photographions depuis hier. Bières, vodka, fruits au sirop ... l'ambiance est chaleureuse ! Pour couronner le tout, Sylvia nous retrouve ce soir-là. Elle est étudiante et parle parfaitement l'anglais, ce qui nous permet de tenir une véritable conversation avec Janus et Andrzej (Jean et André). L'histoire ne dira comment s'est fini la soirée (...)
L'ambiance en ligne n'est pas en reste. Le ciel bas et la neige sale confèrent une atmosphère lourde et pesante que j'affectionne particulièrement. La vapeur créé des ambiances uniques où les lignes dures de la machine côtoient des silhouettes estompées dans les volutes de fumée. Dans chaque gare, des passagers parfaitement lambda empruntent le train pour se rendre au travail ou à l'école. Etrange spectacle qu'un voyageur répondant à des SMS sur un smartphone ne lève même pas un sourcil quand une locomotive d'un autre âge s'arrête à quai devant lui, en englobant tout le monde dans un énorme panache de fumée blanche !
»
Le souvenir d'un démarrage de Grodzisk restera à jamais gravé dans ma mémoire. Par -15°C, sur un rail rendu glissant par le brouillard givrant, la Pt 47-65 décolla son train avec de grands coups d'échappement dont le rythme irrégulier s'accélérait brutalement à chaque patinage. Malgré quelques loupés photographiques, déconvenues autoroutières et frustrations, nous avons quitté Wolsztyn après une semaine avec l'immense satisfaction d'avoir enfin connu la vapeur authentique, à des antipodes des trains spéciaux que nous photographions de temps en temps sur les voies ferrées françaises.

Fort de ce constat, nous avons décidé d'y retourner dès Août 2010. Premier changement, le beau temps et la végétation luxuriante modifièrent complètement le ressenti. Tout nous sembla d'un coup beaucoup plus propre. Mais une chose en particulier va démolir partiellement le mythe Wolsztyn. Je cite : « de nombreux groupes de personnes se promènent librement dans le dépôt, entre les machines, dans la rotonde. Il s'agit principalement de familles avec des enfants en bas âge qui grimpent sur les locomotives froides comme s'il s'agissait de manèges. L'authenticité en prend un coup. Je dois préciser que le dépôt est ouvert aux visites toute l'année. Mais bien évidemment, personne ne songe à emmener des enfants dans un dépôt par de froides et mornes journées de Février, ce qui nous a donné l'illusion que Wolsztyn n'est pas un musée vivant ... alors qu'il s'agit avant tout de cela ! »
Dès notre arrivée sur place, nous sommes tombés nez à nez avec Janus et Andrzej. Nous leur avons offert des tirages papiers des photos prises au mois de Février. Croyez moi, c'est un bon moyen de se faire reconnaître et d'obtenir un tour en cabine, en assurant la chauffe ! Je crois bien que je n'aurai plus l'occasion de fourrer de grosses pelletées de charbon dans le foyer, en prenant garde de répartir le combustible de manière homogène sur la grille du foyer, malgré les secousses de la locomotive ! Malheureusement pour nous, après un jour passé sur place, la Pt 47-65 fut retirée du service pour cause de suspension cassée. Nous pensions alors qu'une autre machine allait prendre la relève mais aucune autre locomotive n'était en état de fonctionnement ! Pendant presque un mois, les trains normalement dévolus aux locomotives à vapeur seront assurés par des diesel ... Ce fut pour nous l'occasion de visiter les autres lignes du secteur, mais j'avoue que nous étions aigris. S'être défoulé sur les techniciens de l'atelier en train de réparer les machines ne nous avait pas procuré notre dose de vapeur.

Ma dernière visite à Wolsztyn date de Septembre 2013. Nous avons simplement passé deux nuits au dépôt avec Fred, lors d'un voyage en Lettonie et en Lituanie. Mais cela m'a suffit pour constater bon nombre de changements. Tout d'abord la traction à vapeur n'est programmée qu'en semaine. Alors qu'en 2010 elles roulaient tous les jours, il n'y a plus de locomotives à vapeur engagée sur les trains vers Poznań les samedis et dimanches. Ensuite, les locomotives et les lieux du dépôt sont maintenant numérotés avec des gros panneaux verts pour faciliter la visite en autonomie du dépôt. Ensuite, bien que nous étions en semaine, je n'ai pas revu les habituels techniciens de l'atelier s'escrimer un peu partout. Seul un jeune en bleu de travail discutait devant la rotonde avec le Dyspozytor. Enfin, la porte de la rotonde était fermée la nuit, ce qui n'était pas le cas les deux fois précédentes. Tout ceci me laisse un amer sentiment de "début de la fin". Pourtant, soyons lucide, le début de la fin dure depuis maintenant des années. Déjà en 2010, les moyens techniques manquaient cruellement pour maintenir une flotte de machines opérationnelles, comme l'a prouvé notre déconvenue du mois d'Août.
Au cours de cette dernière visite, nous avons pu photographier l'Ol 49-69 de nuit. La maturité photographique aidant, j'ai réalisé quelques vues dont je n'aurais jamais eu l'idée trois ans plus tôt.

En conclusion, ce témoignage peut faire sourire bon nombre des vieux briscards qui ont connu certains points chauds de la traction vapeur avec une intense activité, dans les années 1980, 1990 voire même dans les années 2000 en Chine ! Ils penseront peut-être que l’enthousiasme débordant que nous avons manifesté lors de notre première visite en 2010 était du à un effet de contraste par rapport au chemin de fer déjà aseptisé que nous connaissions en France. Qu’ils aient raison ou tort, là n’est pas la question. Il nous reste d’excellent souvenirs et à titre personnel c’est un lieu auquel je me suis fortement attaché. C’est sans doute pour cela que sa lente agonie m’attriste …